Brice Oligui Nguema lors de son investiture le 03 mai 2025. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Le 3 mai 2025, Brice Clotaire Oligui Nguema a prêté serment au stade de l’Amitié sino-gabonaise d’Agondjé, consacrant officiellement son élection à la présidence de la République gabonaise. Mais derrière la solennité de l’investiture et les discours sur la refondation démocratique, persistent de lourdes interrogations sur la sincérité du scrutin présidentiel et sur la nature profondément centralisatrice de la nouvelle Constitution.
Organisée au stade d’Agondjé près de Libreville la (…)
Organisée au stade d’Agondjé près de Libreville la capitale du Gabon le samedi 03 mai 2025, en présence de Chefs d’Etats, de leurs représentants de personnalités et autres spectateurs, la cérémonie d’investiture a tenu davantage du spectacle idéologique que du protocole républicain au sens noble du terme. Le texte de la Constitution du Gabon, arrivé depuis les airs dans les mains d’un parachutiste de l’armée, a été suivi d’un rituel religieux sans fondement clair, conduit par un ancien proche du régime Bongo, autoproclamé « grand marabout-prêtre », proclamant Brice Oligui Nguema grand chef du Gabon à qui tous les Gabonais doivent obéissance sous peine d’un sort funeste à tout le moins peu envieux…
Un cérémonial hybride et caricatural mêlant ostentation militaire, symbolique sacrée et absence de repères traditionnels reconnus, qui a laissé sceptiques plusieurs observateurs et traditionalistes gabonais. Derrière l’esthétique présentée comme d’unité nationale, la mise en scène a donné le ton : le pouvoir s’exerce d’en haut, sans partage avec à sa tête - et nous osons le dire ! - "un roi nègre" ou pour faire plus soft un "ubu roi" bien équatorial...
Une victoire à la Soviet
Officiellement, Brice Oligui Nguema a remporté le scrutin présidentiel du 12 avril 2025 avec 94 % des suffrages exprimés. Mais au-delà du score, ce sont les chiffres eux-mêmes qui posent question. Plusieurs incohérences ont été relevées entre les résultats annoncés au soir du scrutin et ceux proclamés 12 jours plus tard par la Cour constitutionnelle présidée par un parent de Brice Oligui Nguema nommé par lui !
Le collège électoral, d’abord fixé à 908 916 inscrits, est passé à 916 625 électeurs selon les résultats définitifs. Soit une augmentation de 7 709 inscrits entre le vote et la proclamation, sans explication officielle. Une anomalie troublante, quand on sait que la liste électorale est censée être arrêtée bien avant le jour du scrutin.
Par ailleurs, les votants sont passés de 636 000 à 642 000, les bulletins blancs ont varié de 25 000 à 16 000, avant de remonter à 22 000. Les suffrages exprimés ont bondi de 610 000 à 620 000, et les voix attribuées au candidat Oligui sont passées de 575 000 à 588 000.
Un ajustement progressif, censé rattraper les 4,82 points de pourcentage initialement manquants pour atteindre le score final. Une série d’"ajustements" qui, mis bout à bout, nourrissent le doute. Un très sérieux doute...
Une Constitution centrée sur la figure présidentielle, donc la sienne
Au-delà du scrutin, c’est le contenu de la nouvelle Constitution, adoptée quelques semaines avant l’élection, qui retient l’attention. Le Président de la République y concentre les fonctions de chef de l’État, chef du gouvernement, chef des forces armées et détenteur du pouvoir réglementaire (articles 41, 53, 55, 56, 69). Il nomme aux postes civils et militaires, peut légiférer par ordonnance (article 99), dissoudre l’Assemblée nationale (article 62) et consulter le peuple par référendum (article 54), sans passer par le Parlement.
Le texte prévoit également la possibilité pour le chef de l’État de proclamer l’état d’urgence, de siège ou de mise en garde (articles 60, 63 et 64) sans autorisation préalable des représentants de la Nation.
Deux vice-présidences sans pouvoir propre
Le 5 mai 2025, le chef de l’État gabonais a nommé Séraphin Moundounga Vice-président de la République et Alexandre Barro Chambrier Vice-président du Gouvernement, deux anciens ministres d’Ali Bongo renversé par Brice Oligu Nguema le 30 août 2023 et ayant tous deux appartenu au Parti Démocratique Gabonais (PDG) l’ancien Parti-Etat et unique. Ces deux fonctions, prévues par la Constitution, restent largement symboliques : leurs titulaires sont nommés et révoqués par décret présidentiel (donc selon le bon vouloir de Brice Oligui Nguema !), n’exercent aucun pouvoir autonome, et ne disposent pas de mécanismes d’action indépendants.
Le Vice-président de la République par exemple ne peut même pas assurer l’intérim en cas de vacance du pouvoir (article 46), rôle confié au président du Sénat actuellement occupé par Paulette Missambo elle aussi ayant appartenu au Parti Démocratique Gabonais et ayant été ministre sous Omar Bongo dont Brice Oligui Nguema a été aide de camp pendant 8 ans. Quant au Vice-président du Gouvernement, il coordonne, mais n’ordonne pas.
Exclusion
La nouvelle Constitution limite le nombre de mandats de sept ans à deux termes consécutifs (article 42), mais restreint fortement les critères d’éligibilité (article 43), à travers des exigences de nationalité strictes, de résidence continue, de mariage, et de maîtrise d’une langue nationale. Des barrières potentiellement dissuasives pour nombre de candidats et qui ont douché complètement les ambitions présidentielles d’Alexandre Barro Chambrier actuel vice-président et candidat à l’élection présidentielle de 2023 mais qui avait fini par se désister en faveur d’Albert Ondo Ossa.
L’indépendance de la justice est proclamée (article 111), mais fortement entamée par la mainmise présidentielle sur les nominations, et par l’absence de mécanismes clairs de mise en cause du chef de l’État. La Haute Cour de Justice, mentionnée à l’article 146, reste théorique dans ses moyens d’action.
« La Ve République » (sic) du Gabon
Brice Oligui Nguema a été investi dans la forme. Il dispose désormais du fond. Mais ce fond repose sur une élection controversée, une Constitution verrouillée, et une architecture institutionnelle où le pouvoir central absorbe tout, au détriment des équilibres que toute démocratie digne de ce nom devrait protéger.
Le rituel grandiloquent et surtout obscurantiste du 3 mai 2025 n’aura pas suffit à faire oublier les failles du processus électoral. Le flou sur les chiffres, l’absence de débat pluraliste, la concentration des prérogatives : autant de signaux qui interrogent sur la nature réelle du régime qui s’installe à Libreville et qui s’appelle désormais pompeusement – et très abusivement – « Cinquième République » …