Gabon – Le système ne meurt pas, il change de visage. Photo: Droits réservés/Gabon Intelligent
Le 11 juillet 2025, à l’aéroport international de Libreville, une foule en liesse accueille le président Oligui Nguema à son retour du sommet USA-Afrique. Tee-shirts jaunes, chants, slogans, tout est là. Mais derrière l’enthousiasme populaire, quelque chose sonne creux. Le scénario est familier. Comme un air connu. Et cette impression tenace que l’histoire se répète, avec d’autres visages, mais les mêmes réflexes.
Assis dans mon fauteuil, les images de l’aéroport défilent. La foule, les (…)
Assis dans mon fauteuil, les images de l’aéroport défilent. La foule, les drapeaux, les micros tendus, les sourires soigneusement capturés par les caméras. Tout est réglé comme une horloge. Mais quelque chose m’échappe. Ou plutôt, quelque chose me revient.
Je repense à ce jour, il y a quelques années, où les Gabonais avaient été appelés à se masser au même aéroport pour accueillir Maixent Accrombessi, de retour d’une garde à vue à Paris. À l’époque, beaucoup – y compris certains qui se trouvent aujourd’hui au premier rang des acclamations – avaient dénoncé le grotesque de la mise en scène, la personnalisation outrancière du pouvoir, l’indécence des moyens mobilisés.
Et là, ce 11 juillet, ce sont les mêmes visages qui, cette fois, applaudissent à pleines mains. Les mêmes postures. Seules les couleurs ont changé.
Ce n’est pas une question de morale. C’est une question de place.
Ce renversement, je ne l’observe plus avec colère. Mais avec une certaine fatigue. Parce que ce n’est pas la morale qui a changé. C’est le rapport au pouvoir. Hier, on criait au scandale parce qu’on était exclu. Aujourd’hui, on se tait parce qu’on est dans le bon camp.
La vérité, c’est que beaucoup ne refusaient pas le système, ils en voulaient juste leur part. Ce n’était pas la soupe qui les dérangeait, mais de ne pas être invités à la goûter. Et maintenant qu’ils sont servis, ils chantent.
Mais qui finance ce festin de slogans et de casquettes ? Qui paie pour ces foules convoquées, ces bus affrétés, ces banderoles imprimées ? Nous. Toujours nous.
Le système, c’est aussi nous.
Pendant longtemps, j’ai pensé que le problème, c’était « eux ». Ceux d’en haut. Les décideurs. Les puissants. Et puis j’ai compris que le système tient debout parce que nous le portons. Par notre silence, par nos indulgences sélectives, par notre capacité à oublier quand cela nous arrange.
Nous accusons souvent « le système » comme une entité abstraite, lointaine. Mais ce système, il a des visages. Le nôtre, aussi. Il vit de nos renoncements, de notre résignation, de cette façon que nous avons de tolérer chez nos amis ce que nous condamnons chez nos ennemis.
« Le peuple finit toujours par ressembler à ses dirigeants », écrivait Paul Valéry. Peut-être que c’est l’inverse aussi. Les dirigeants ne sont que le miroir de notre complaisance collective.
Le vrai changement commence plus bas que la présidence.
Je n’attends plus qu’un homme providentiel redresse le pays. Je regarde autour de moi. Je m’observe. Je me demande si, à ma place, je saurais dire non. Refuser le cortège, refuser la casquette, refuser de battre des mains juste pour ne pas être seul.
On ne change pas une nation en changeant juste de président. On la change quand chacun décide de ne plus jouer un rôle dans la mascarade. Même petit. Même discret.
Tant que notre morale dépendra de notre proximité avec le pouvoir, on tournera en rond. On criera victoire chaque fois qu’un nouveau nom apparaîtra, et l’on recommencera, encore, comme si rien n’avait été appris.